Un article paru, ce matin, sur Tuner.be
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« Radio-Luxembourg, Histoire d’un média privé »… par David Dominguez Muller
Etudiant au Grand-Duché de Luxembourg, David Dominguez Muller n’a jamais imaginé que son mémoire sur Radio Luxembourg intéresserait un éditeur pour en faire un livre… Confidence d’un passionné…
Comment est née l’aventure du livre ?
Il s’agit en fait d’un concours de circonstances. Étudiant en 4ème année d’Histoire à la Sorbonne, j’ai dû choisir un sujet pour la rédaction de mon mémoire. Au début, je ne savais pas trop dans quelles recherches j’allais me lancer, si ce n’est que l’objet de ces recherches devait être contemporain. Etant Luxembourgeois, cela devait aussi avoir un rapport avec le Luxembourg. Mon directeur de recherches, Eric Bussière, spécialiste de l’Histoire de la construction de l’Europe monétaire et des milieux financiers, était tombé au cours de ses recherches dans les archives de la BNP-Paribas sur toute une pile de documents relatifs à Radio-Luxembourg dont la banque a longtemps été un des principaux actionnaires. On tenait là, le bout d’un fil qui allait me mener à consulter de nombreuses archives, de Paris à Luxembourg. Environ cinq ans après la rédaction de mon mémoire, l’envie m’est venue de faire partager le fruit de ces recherches à un public plus large, plutôt que de le laisser moisir au fond d’un tiroir.
Le fait de vous lancer dans l’écriture sur un média comme RTL n’est-il pas un signe de fierté pour votre pays, tout en sachant que ce média n’est plus - à l’heure actuelle- totalement luxembourgeois ?
RTL n’a en fait jamais été luxembourgeois. Ce n’est que son siège qui se trouvait, et se trouve encore, au Grand-Duché. L’État luxembourgeois a accordé la concession à l’entreprise dont le capital était au début presque exclusivement français. Mais il est vrai que grâce à Radio-Luxembourg, le Grand-Duché a connu une renommée internationale. Encore aujourd’hui, si vous dites à un Écossais ou à un Suédois que vous êtes Luxembourgeois, ils vous parlent aussitôt de Radio-Luxembourg qui a connu son époque de gloire dans les années 60. Pour un petit pays comme le mien, il s’agit bien sûr d’un signe de fierté.
Comment ont réagi les responsables de RTL Group ?
Quand le choix est tombé sur Radio-Luxembourg comme sujet de recherche, je me suis évidemment empressé de contacter RTL Group dont le siège se trouve à Luxembourg-ville, au Kirchberg. Ce fut une expérience assez frustrante dans la mesure où il s’est avéré très difficile de trouver une personne de contact susceptible de pouvoir m’aider dans cette entreprise labyrinthique. Les personnes que j’ai finalement pu contacter se sont montrées malheureusement peu enthousiastes face à mon projet. Ce n’est que l’année dernière, alors que je cherchais des documents photographiques pour agrémenter mon livre, que j’ai pu rencontrer des personnes plus coopératives.
Avez-vous pu faire vos recherches sans contrainte dans les archives de RTL ?
En fait, je n’ai pas eu accès aux archives RTL ! On m’a fait comprendre que toutes les archives avaient été détruites et jetées dans les années ’90. Est-ce un mythe ou non, je n’en suis pas sûr. RTL - comme bon nombre d’entreprises tournées vers l’avenir - n’a que peu d’intérêt pour son propre passé. Ce qui est dommage et regrettable, surtout pour un historien. Cela m’a forcé à consulter d’autres archives, administratives (auprès des principaux actionnaires de l’époque) et diplomatiques dont la confrontation a permis une mise en perspective finalement plus intéressante qu’une simple analyse unilatérale.
Tout le monde connaît maintenant l’empire RTL. Ne pensez-vous pas que vous ciblez une certaine catégorie de lecteurs ?
Oui, j’en conviens. Le but de mon travail n’a pas été de faire un récit hagiographique ou anecdotique du poste à succès. Cela a déjà été fait comme en témoignent les ouvrages publiés par des anciens collaborateurs au sein de RTL, que ce soit Michèle Etzel ou Jacques Navadic. J’ai voulu faire une analyse historique, basée sur des archives, pour comprendre les raisons qui ont mené à la création de Radio-Luxembourg, son développement au cours de l’histoire et l’accueil qui lui a été réservé.
Avez-vous eu une aide financière de la part de RTL pour l’élaboration du livre ?
Non, aucune ! Il ne s’agit en aucun cas d’un travail de complaisance ou commandé. J’ai pu le rédiger en toute indépendance.
Ne trouvez-vous pas un peu triste qu’un groupe comme RTL n’ait pas pensé avant vous à réaliser un tel livre ?
Effectivement, il est hautement regrettable qu’une entreprise comme RTL, à l’instar d’autres grandes entreprises d’ailleurs, n’ait pas développé plus de respect par rapport à sa propre histoire. Le passé a longtemps été délaissé et on n’avait d’yeux que pour le futur. Cependant, je sens que les choses sont en train de changer.
Lorsque l’on parcourt votre livre, on a l’impression – et ce n’est pas péjoratif - de lire un mémoire scolaire. Est-ce une volonté de votre part ?
L’essentiel de mon livre se base sur mon mémoire universitaire. En vue de sa publication, je voulais rendre mon travail un peu plus accessible, disons plus digeste ; je m’y suis efforcé. J’étais tenté de laisser certains chapitres de côté, notamment ceux couvrant le volet économique. Pour des raisons de cohérence, j’ai finalement préféré ne pas amputer mon texte de la sorte.
Radio Luxembourg est devenue R.T.L en 1966. A cette époque, elle perdait sa place de leader au profit de France Inter et Europe 1. En quelques mots, qui a réussi à l’époque à faire de RTL la première radio de France ?
Il est vrai qu’à l’époque, Radio-Luxembourg, après avoir été pendant toute une période la radio préférée des Français, se trouvait en perte de vitesse par rapport aux stations concurrentes. La station « luxembourgeoise » s’était un peu trop reposée sur ses lauriers et avait une image quelque peu ringarde et franchouillarde. Mais les temps ont changé et il a fallu se remettre en question. C’est sous l’impulsion de Jean Prouvost - patron de Paris-Match, Marie-Claire et Télé 7 Jours, également administrateur de la société anonyme du Figaro, et entré au capital de Radio-Luxembourg en 1966 - qu’un revirement s’est effectué, qui a finalement porté ses fruits.
On apprend aussi dans votre livre que Radio Luxembourg a vu le jour grâce à des capitaux français. Hors, à l’époque une radio émettant à l’étranger et à destination du territoire français était considérée comme un outil de propagande. C’est à ne rien comprendre, non ?
Les autorités françaises de l’époque voulaient éviter qu’un poste étranger et indépendant - on ne parlait pas encore de station périphérique - émette des programmes à destination des auditeurs français. Voilà pourquoi elles mettaient tout en œuvre pour que l’influence française soit garantie au sein de la société concessionnaire par le biais des principaux actionnaires, tous des entreprises françaises telle l’Agence Havas, la CSF (future Thomson) ou encore la Banque de Paris et des Pays-Bas. On voulait s’assurer du caractère francophile de la station « luxembourgeoise » et que ce soit un outil de propagande favorable à la France ! Au grand dam des autorités françaises, Radio-Luxembourg s’est cependant peu à peu affranchi de ce rôle et a osé se montrer plus critique envers la politique de la France, notamment lors de la guerre d’Algérie. La réaction française ne s’est pas fait attendre, allant même jusqu’à provoquer une coupure de câble entre la France et le Luxembourg.
Que retenez-vous de vos recherches et surtout qu’avez-vous appris personnellement tout au long de votre travail ?
Au cours de mes recherches, qui ont duré pratiquement un an, j’ai eu la chance de pouvoir consulter nombre d’archives et ainsi me consoler du fait de ne pas pu avoir accès aux archives de RTL Group. Ce fut toujours fascinant de jeter un regard derrière les coulisses, de découvrir l’envers du décor ! Une station qu’on disait neutre était en fait contrôlée par la France. Les apparences sont souvent trompeuses, la méfiance est de mise.
Après la radio, n’avez-vous pas envie de vous lancer sur l’histoire du « T » de RTL ?
J’ai consacré déjà une partie non négligeable aux activités télévisuelles de la compagnie qui est devenue la CLT en 1954. Ces activités ont longtemps été marginales puisque la télévision faisait perdre de l’argent à la compagnie, alors que la radio rapportait énormément. La couverture télévisuelle était très limitée à l’époque. Il faut attendre le développement des satellites pour assister à un véritable boom des activités télé de RTL.
Voulez-vous nous faire comprendre que l’époque RTL Télévision dans les années 80 a été un désastre financier ?
Non, je n'irai pas jusqu'à parler de désastre financier, surtout pas en ce qui concerne les années 80. N'oublions pas que Télé-Luxembourg a commencé à diffuser ses programmes dès 1955 et ce, dans des conditions difficiles. On n'était pas vraiment préparé côté luxembourgeois à se lancer dans ce nouveau média. Télé-Luxembourg a été créée parce que le grand rival radiophonique, Europe 1, envisageait de lancer une station de télévision en Sarre et qu'on voulait les devancer. Télé-Luxembourg est néanmoins peu à peu sortie de l'amateurisme de ses débuts et a notamment réussi à s'imposer auprès du public belge. Le vrai déclic s'est effectivement opéré dans les années 80 avec la création en collaboration avec Bertelsmann de la chaîne allemande de RTL qui en quelques années est passée du statut de chaîne régionale à celui d'incontournable dans le paysage audiovisuel allemand. Ce succès commercial fulgurant a permis par la suite un développement substantiel, appuyé par l'émergence des satellites, des activités télévisuelles et explique également la mainmise progressive de l'allemand Bertelsmann sur la CLT.
Dernière question. Vous avez rencontré de nombreuses personnes pour la réalisation du livre. Comment voyez-vous le futur de RTL ? N’avez-vous pas un petit scoop à nous divulguer venant tout droit des couloirs du Kirchberg ? (Rires).
RTL Group est actuellement le numéro 1 de l’audiovisuel en Europe et ça ne risque pas de changer au cours des prochaines années. Bertelsmann qui détient près de 90% des actions de RTL Group (de française, la compagnie est donc devenue allemande au cours de l’histoire) déploie actuellement de nombreux efforts afin d’acquérir le reste des actions libres et en détenir la totalité. La partie n’est pas encore gagnée. Reste à voir combien de temps encore RTL Group aura son siège au Luxembourg… On l’a vu, les grandes entreprises ne chérissent pas forcément la nostalgie !
« Radio Luxembourg, Histoire d’un média privé d’envergure européenne » est distribué en France par la maison « L’Harmattan » et en Belgique par « Nord-Sud ». Il est notamment disponible à la Fnac.
Propos recueillis par Fabrice Staal
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